Pour cet article, j’ai interviewé deux
collègues d’origine française sur leur perception de l’accent québécois. Je
vous les présente : Nadia, originaire des Vosges, a immigré au Québec il y
a 20 ans. Virginie a surtout vécu dans les pays de la Loire; elle habite à
Montréal depuis bientôt dix ans. C’est dire qu’elles sont maintenant
parfaitement familières avec l’accent du Québec. Voici un compte rendu de notre
conversation…
Martine : À votre arrivée, que saviez-vous de l’accent
québécois ? À quoi vous attendiez-vous ?
Virginie : J’y avais été un peu exposée car ma mère et
moi suivions une série télévisée québécoise qui s’appelait « Les filles de
Caleb ».
Nadia : Je connaissais Roch Voisine et Céline Dion;
j’avais remarqué que leur accent était plus prononcé lorsqu’ils s’adressaient
au public que dans leurs chansons. Mais je comptais surtout sur le fait que les
Québécois me comprendraient sans mal.
Martine : Avez-vous été parfois surprises ?
Virginie : Oui. J’ai commencé à enseigner l’anglais cinq
jours seulement après mon arrivée à Montréal. Quand mes étudiants parlaient de
leurs chars, l’image que j’avais en tête était celle de chars d’assaut, pas du
tout celle de voitures. Même chose pour la poussette de mon bébé, que les gens
appelaient « carrosse », ce qui me faisait penser aux contes de fées.
(rires)
Nadia : Moi, j’ai remarqué que les jurons et les
anglicismes n’étaient pas les mêmes au Québec qu’en France. Ici, par exemple, on
utilise des verbes comme canceller pour annuler, céduler pour inscrire
à l’horaire et on les conjugue à tous les temps !
Virgine : Et il y a des phrases comme « pour faire une
longue histoire courte » qui est un calque de l’anglais « to make a
long story short ». Je n’avais entendu ça nulle part avant. Et puis, j’ai
eu la bonne surprise d’entendre des mots que disait souvent ma grand-mère
normande : bas pour chaussettes, chandail pour pull-over et souliers au
lieu de chaussures. Ça m’a vraiment fait chaud au coeur.
Martine : C’est un peu normal : la plupart de nos
ancêtres sont venus de Normandie. Y a-t-il eu d’autres mots ou d’autres
expressions exotiques ?
Virginie : Le nom des repas : déjeuner-dîner-souper
au lieu de petit-déjeuner, déjeuner, dîner. La laveuse et la sécheuse pour le
lave-linge et le sèche-linge.
Nadia : La prononciation à la française de certains
noms de villes m’a étonnée : Lossangèle pour Los Angeles, et Boston, Baie
d’Hudson qui riment avec garçon.
Martine : Je pense que ça vient du fait qu’autrefois, la
plupart des enseignants appartenaient à des communautés religieuses. Ces
gens-là accordaient énormément d’importance à la préservation de la langue
française. On disait alors que la foi était gardienne de la langue et la
langue, gardienne de la foi.
Nadia : Moi, ce qui m’a étonnée, c’est que copain-copine,
c’est « chum » et « blonde ».
Virginie : Ah oui ! Moi, quand j’ai entendu « ma chum de
fille », j’étais complètement perdue. Puis j’ai compris que ça voulait
tout simplement dire « mon amie ». Et pour la blonde… en France, si
on te dit « t’es blonde, toi », c’est pas flatteur…
Martine : Mais, icitte aussi, se faire traiter de
blonde, c’est se faire traiter de niaiseuse, t’sé.
Nadia : Icitte, niaiseux, niaiseuse et t’sé, voilà
d’autres mots typiquement québécois.
Martine : Ok : ici, niais, niaise et tu sais ! (rires)
En ce qui concerne la syntaxe, avez-vous noté des différences ?
Nadia : Oui, le -tu qu’on ajoute à la fin d’une
question. « Tu veux-tu ? » et même « Il veut-tu ? »
Virginie : Le pronom « que » qu’on
utilise au lieu de « dont ». L’emploi de « nous autres »,
dans des phrases comme « il vient avec nous autres ».
Nadia : Et « chez vous » au lieu de
« chez toi », par exemple « tu t’en vas chez vous » au lieu
de « chez toi » et aussi le « là » ou le « là,
là » à la fin des phrases.
Virginie : Ce que j’ai trouvé surprenant, c’est à quel point
le tutoiement est répandu. Quelqu’un qui ne te connaît pas du tout peut
s’adresser à toi en te tutoyant et c’est tout à fait normal. Et le
« Bonjour, ça va bien ? » qu’on se fait dire dans les magasins. Je me
demande quelle serait la réaction de la vendeuse, si on lui répondait que ça va
mal…
Martine : Elle ne saurait pas quoi dire ; ton rôle à
toi, c’est de répondre : « Bien », point final.
Nadia : Il y a aussi « bonjour » à la fin
d’une conversation, l’expression « bon matin », le mot écoeurant qui
veut dire tout le contraire en France …
Martine : C’est vrai que le mot « écoeurant »,
ça peut être extrêmement positif, ici. On entend souvent des choses
comme : « C’est écoeurant comme c’est beau ! », « C’est
bon, c’est écoeurant ! » Aussi absurde que ça paraisse, c’est très
élogieux. Mais attention ! Si tu traites un gars d’écoeurant, tu le traites de
salaud.
Nadia : Il y a aussi tout le vocabulaire associé au
climat comme la poudrerie, la sloche qui est un mélange d’eau et de neige sale,
le facteur vent et l’humidex dont parle la météo ainsi que l’expression
« attache ta tuque…
Martine : … avec de la broche », c’est-à-dire
« Prépare-toi à affronter le pire », la broche étant en fait du fil
de fer.
Nadia : Et une expression que j’adore : Tiguidou !
Martine : Qui équivaut à « Super ! » ou à
« Parfait ! ». Pour conclure, si vous aviez un conseil à donner aux
Français qui prévoient immigrer au Québec, que leur diriez-vous ?
Nadia et Virginie : Qu’au Québec, c’est eux qui ont un
accent.